TÉMOIGNAGES - De l'avis de certains observateurs, qu'importe l'évolution du contexte sanitaire d'ici les fêtes de fin d'année, il ne serait pas raisonnable de se réunir à trois générations ou plus. Mais qu'inspire cette perspective aux plus âgés ?

La "règle de six" à table avait déjà semé le trouble mi-octobre sur les conditions dans lesquelles pourrait se dérouler Noël cette année, en pleine recrudescence de l'épidémie de Covid-19. Mais depuis l'entrée en vigueur du reconfinement, l'inquiétude voire l'angoisse dans certaines familles, est à son comble. A la question principale de savoir s'il sera possible ou non de se déplacer et de se réunir fin décembre, s'ajoute celle qui concerne la présence des plus âgés aux repas de famille. Certains observateurs, en particulier des soignants sur le front comme le professeur Gilbert Deray, chef du service de néphrologie à la Pitié-Salpêtrière, jugent en effet qu'il ne serait pas raisonnable de se réunir à trois générations ou plus. "Qu'on puisse se réunir, à six, oui. Mais toute la famille, des petits-enfants aux grands-parents, je ne le crois pas. Ce serait faire prendre un risque considérable aux grands-parents et ce serait relancer l'épidémie", expliquait-il ce jeudi sur LCI.

"Je préfère mourir que d'être séparé de mes petits enfants"

"A chacun ses responsabilités, arrêtons de stigmatiser les grands-parents, d'entraver à leur libre arbitre, ils sont les premiers à être responsables de leurs gestes et de leurs actes", s'agace Armelle Le Bigot Macaux, présidente de l'association l'École des Grands-Parents Européens. "On parle des plus fragiles qu'il faut éviter coûte que coûte d'exposer au virus comme si c'était homogène, mais on oublie de dire qu'on meurt aussi de solitude et de stress, qu'on souffre énormément de cet empêchement et de cette distanciation que le Covid a mis entre les familles", poursuit-elle. "Je préfère mourir que d'être séparé de mes petits enfants", entend ainsi parfois la responsable associative, qui évoque d'"autres effets secondaires" de cette pandémie, dont on parle trop peu, juge-t-elle.

"Noël est un moment symbolique, d'amour et de retrouvailles dont manquent beaucoup de grands-parents et petits- enfants dans ce contexte", souligne-t-elle. "Donc si se retrouver pour Noël n'est pas interdit, ce qui se profile a priori, c'est bien à chaque famille de décider ce qu'il en sera", tranche-t-elle. Et d'évoquer "tous les cas de figure qui s'expriment dont ceux qui ont intégré cette peur du virus et qui, d'eux mêmes, refusent de prendre part à un repas de famille" dans ce contexte incertain.

"On a l'impression que c'est du temps volé"

De son propre chef, Anne, 81 ans, a par exemple décidé de passer ces fêtes de fin d'année, seule, pour limiter tout risque. "Dans ma tête, les choses sont claires, je me suis déjà préparée à ne pas fêter Noël en famille, avec mes petits-enfants et mes arrières-petits-enfants comme les autres années", explique-t-elle. De quoi soulager quelque part ses proches d'une situation qui relève du cas de conscience. "Ma famille s'inquiète que je puisse être contaminée à leur contact je le sais, mais l'infime possibilité que je puisse participer à la transmission du virus dans l'autre sens me gêne aussi, je n'ai envie de courir aucun risque, hors de question", ajoute-t-elle bien décidée à rester confinée les 24 et 25 décembre, mais attristée tout de même. "On ne peut pas dire que cette situation soit terrible, ça joue psychologiquement quand on avance dans l'âge, on a l'impression que c'est déjà une année de perdue, du temps précieux volé en quelque sorte", regrette-t-elle.

Dans d'autres familles, c'est un scénario opposé qui se profile. Céline est grand-mère depuis quelques mois et ce Noël sera le premier de sa petite-fille. D'un commun accord avec sa fille et ses parents, il est déjà acté que cette fête de famille "sacrée" se déroulera comme d'ordinaire, quelles que soient les recommandations. Mais avec l'apparition de nouvelles règles tout de même. 

"Un buffet pour éviter de se retrouver autour d'une table"

"Ma mère fait partie, comme mon père d'ailleurs, de cette génération que l'on dit à risque mais qui ne semble pas avoir peur de ce virus, ou en tout cas qui ne veut pas se laisser polluer par ce contexte et s'empêcher de vivre", explique la quinquagénaire. "Elle a tendance à me dire 'je ne vais pas mettre ma vie entre parenthèses' et j'avoue que c'est aussi ma philosophie même si ça peut sembler égoïste", concède-t-elle. Aussi, cette jeune mamie n'a pas le sentiment de prendre plus de risque en déjeunant, quatre générations confondues, ses parents compris donc, "qu'en allant au travail ou faire ses courses au supermarché". 

En conséquence, elle a déjà tout prévu pour le jour J. "On compte bien prendre toutes les précautions de rigueur : masques, gel, pas de bisou, distances..." explique la quinquagénaire, qui précise que contrairement aux autres années les neuf membres de la famille se retrouveront uniquement le 25 et en plus comité restreint. "On pense faire exceptionnellement un buffet cette année pour ne pas que le repas se prolonge plusieurs heures comme d'habitude et pour éviter de se retrouver tous à table en même temps", conclut-elle, tout en soulignant que la pièce à vivre est spacieuse et qu'il n'est pas question de se retrouver les uns sur les autres.

"Il ne faut pas qu'on fasse de Noël un dogme"

A mi-chemin entre ces deux façons de se projeter, France a pris ses dispositions pour un Noël à domicile  tout en caressant l'espoir qu'une bonne nouvelle tombe d'ici les fêtes. "Pour l'instant, on fait livrer tous les cadeaux de Noël des petits-enfants chez ma fille et mon gendre", explique celle qui s'est préparée à plusieurs cas de figure qui tranchent avec les habitudes de la famille. "S'il était finalement permis de se réunir, il n'y aura de toute façon pas de rassemblements nombreux comme l'envisagent certains, prévient-elle. "Je ne veux pas faire une fête où je sens un risque." Dans son esprit, il est plutôt question d'organiser, le cas échéant, deux repas en petits groupes. "Dans le meilleur des cas, on pourra retrouver ma fille, mon gendre et leurs deux filles, on aérera et tout le reste",  espère-t-elle, disposée à célébrer cette fête "dans d'autres conditions" et convaincue qu'"il y a d'autres manières de se montrer de l'affection qu'en s'embrassant".

"Mais si je devais privilégier un seul Noël en famille, ça serait avec mes beaux-parents car à l'âge qu'ils ont on ne sait pas ce que sera Noël prochain", explique la sexagénaire. Pour elle, "priver cette génération de Noël serait un crève cœur".

Préparée à l'éventualité de ne pas pouvoir être aux côtés de ses petites-filles pour les voir déballer leurs cadeaux si la situation sanitaire l'exige, France s'efforce de prendre les choses avec philosophie. "Ce qui prime, c'est qu'on sorte tous de cet épisode en bonne santé et il ne faut pas qu'on fasse de Noël un dogme en se disant qu'on se retrouvera pour les fêtes contre vents et marées", rappelle la jeune mamie.  Pourtant, ce n'est pas l'envie de se retrouver qui manque. Dans cette famille, le 25 décembre est un double événement depuis 2019 et la dernière de ses petites filles, Anna, fêtera peut-être, en plus de Noël, son premier anniversaire confinée à la maison. 


Audrey LE GUELLEC

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